Un monde qui marche la tête à l'envers, voilà ce qu'est devenue l'école dans un grand nombre d'établissements, où des élèves peuvent persécuter leurs profs (et accessoirement d'autres élèves), les insulter dans la plus parfaite impunité, où la parole du prof ne vaut rien devant celle d'un élève, même s'il s'agit d'un enfant, où la hiérarchie semble parfois tout aussi ouverte et compréhensive que ce que décrit Kafka et parfois, souvent, plus prompte à poursuivre de son sadisme le prof que pressée de sanctionner les fautes des élèves pourtant manifestes et peu anodines.
Faisant suite aux précédentes réflexions et précédents témoignages, je publie d'autres témoignages parus dans Le Monde, recueillis après les derniers événements qui ont manifestaé la violence qui peut régner au coeur des établissements scolaires où pénétrent tous les problèmes et toutes les tares de la société.
Malaise dans l'éducation nationale
Divers incidents violents à l'école émaillent régulièrement l'actualité. Certains d'entre eux sont plus que graves, inouïs, telles ces tentatives de meurtres en pleine classe, au sein de l'école, contre des profs, contre des élèves. Mais tant de faits de violence dont on ne parle pas car ils sont incomparablement moins graves, mais néanmoins inadlissibles.
Le dernier grave incident en date a donné l'occasion à la presse de recueillir des témoignages de profs. On ne sait pas assez à quel point la situation est dégradée dans l'Education nationale et la gravité des problèmes dans les établissements dits « difficiles » dont le nombre se multiplie. Contre les agressions physiques, pour tenter de les emêcher le ministre propose des détecteurs d'armes, des portails et des fouilles, pour faire face à ce type de problèmes. Mais qui arrêtera le geste, qui sortira de la tête l'envie de ce genre de comportements à l'école ? certainement pas des détecteurs d'armes et des fouilles au corps -matériellement irréalisables de plus, sauf à convoquer les élèves une heure plus tôt avant de rentrer en classe.
Réactions d'enseignants , parues dans le Monde, qui disent la pauvreté en idées et en imagination des ces dits "responsables" qui semblent ne rien connaître ni comprendre aux maux de l'école (Sarkozy n'a qu'une idée en tête : supprimer des postes dans l'E.N. ce qui ne facilite sans doute pas les relations ni n'améliore l'encadrement de nos jeunes sauvageons).
Témoignages :
J'enseigne dans un établissement où de nombreuses violences sont commises au quotidien. Mais ces violences se produisent sans arme : cris, mépris, insolences, insultes, coups, le tout envers les professeurs, les personnels d'entretien et les camarades. Il ne s'agit pas d'une ZEP et l'établissement n'est pas en région parisienne, pas de banlieue stigmatisée autour, mais les élèves sont 30 par classe, les surveillants changent plusieurs fois dans l'année, les professeurs baissent les bras devant une telle hostilité, et je ne crois pas qu'un détecteur [de métaux] puisse changer la donne ! Des équipes fixes, avec du temps pour chacun, c'est la solution. Les propositions actuelles ne peuvent qu'augmenter les tensions.
L'ÉCOLE REFLÈTE LA SOCIÉTÉ... ET LA FAMILLE
Il y a de temps à autre quelques disputes entre élèves, souvent pour des motifs futiles. Mais il y a surtout les incivilités envers les adultes de la communauté éducative. Mon collège est en zone urbaine sensible. Nous recevons de plein fouet la dégradation sociale dans les quartiers. Cela se traduit par un rejet de l'institution, une démotivation à l'égard du travail. Les élèves n'ont plus la sensation que l'école peut les aider à sortir d'une condition précaire. Pourtant, un travail sur projet peut porter ses fruits. L'investissement des enseignants, leur envie de communiquer, l'empathie avec les élèves peuvent encore obtenir des résultats. Néanmoins, sans amélioration sociale, l'avenir s'annonce difficile. Les portiques, fouilles... risquent d'aggraver le sentiment de rejet que ressentent les élèves.
Il y a des violences dans l'établissement où je travaille. Violence verbale des élèves, entre eux et à l'égard des enseignants ; violence physique des élèves et des parents venus régler leurs comptes eux-mêmes. Dans ce contexte, l'éducation ne peut se faire qu'après avoir rétabli une autorité et rappelé les codes sociaux élémentaires : l'école est le miroir d'une société qui banalise la violence. Elle n'est pas toujours liée à des situations familiales ou sociales défavorisées. Une discussion menée avec les élèves, tant bien que mal sur ce problème, fait apparaître que, pour eux, la violence est "attractive", distrayante", un" défoulement". Leurs films préférés sont les films d'horreur, et certains jouent aux jeux "où on tue des gens". Rien de plus facile, selon eux, que de contourner les portiques ou autres. Quant aux parents qui viennent insulter ou agresser, enseignants, administration, comment ne pas constater qu'ils ne font plus confiance à l'autorité compétente ? Dans ce contexte, que valent les propositions du ministre ?
Enseignante spécialisée dans les Rased, voués à disparaître, je suis chaque jour confrontée à des élèves en grandes difficultés scolaires mais aussi en détresse psychologique. Des enfants qui, dès la maternelle, traînent des valises bien trop lourdes pour eux : séparation, disputes, violences, alcoolisme, démission... on n'imagine pas tous les fantômes qui hantent ces chères petites têtes ! A cela vient se rajouter la méfiance des parents vis-à-vis de l'institution scolaire qui est largement entretenue par des politiques opportunistes en mal de projet politique. J'ai le sentiment que plus que jamais l'école devient une poudrière, une sorte de bouc émissaire que l'on souhaite accabler de tous les maux de notre société. L'école est d'abord le reflet d'une société, comme elle aujourd'hui, elle est fragmentée, affaiblie dans ses fondements. A défaut d'une vision claire, d'un projet pour l'école et la nation, les ministres se contentent désormais de mesurettes destinées à satisfaire soit l'opinion publique, soit leur propre ambition personnelle. Xavier Darcos est certainement dans cette veine, sa méconnaissance du système scolaire est effrayante. A ce niveau de responsabilité, l'incompétence est une faute professionnelle grave.
TROP D'ÉLÈVES, PAS ASSEZ DE SURVEILLANTS
Je suis enseignant dans un collège à Grenoble. Nous sommes confrontés à des violences verbales et physiques, à l'irrespect de l'institution avec un durcissement significatif ces derniers mois. Les problèmes sont provoqués par quelques élèves, qui avant étaient accueillis dans des structures adaptées. Aujourd'hui on accueille toute la classe d'âge, sans moyen supplémentaire au sein de l'établissement. L'augmentation des effectifs par classe est un véritable problème ; l'arrivée de jeunes adultes encadrants souvent non formés au milieu scolaire n'apaise pas le climat général (tendance au copinage). La solution serait de développer une nouvelle approche pédagogique, une véritable recherche que seuls les enseignants pourront expérimenter et valider avec les élèves, avec le soutien du ministère. Il est urgent de restaurer une confiance à l'égard des enseignants, qui sont un maillon important dans la sociabilisation des générations futures.
Et encore :
Enseignante en lycée professionnel, j'ai été mutée, il y a six ans, à Paris après un "purgatoire" obligé en ZEP (cinq ans) et j'ai été étonnée du nombre très faible de surveillants et de leur statut ! D'année en année leur nombre s'est restreint et aujourd'hui, dans mon établissement, en plein cœur de Paris, il y a des étages entiers sans aucune présence adulte hormis celle des professeurs. Le nombre des agents d'entretien ayant également fondu, on se trouve dans des espaces non sécurisés. Nous avons un besoin urgent de personnel capable de désamorcer les tensions et non d'"appareillage" grégaire favorisant des sentiments d'humiliation et de rejet chez des élèves déjà très remontés contre l'institution. Nous adorons notre métier mais accordez-nous un ministre au fait des violences que nous subissons aujourd'hui dans les établissements sensibles et d'une hiérarchie courageuse et non obnubilée par leur promotion. Rétablissons le nombre de personnel encadrant formé et ayant un statut digne, le droit d'envoyer des élèves en conseil de discipline sans passer par une procédure qui dure une année entière, ce qui discrédite toute l'équipe par le harcèlement quotidien de ces élèves devant la classe entière.
Sarkozy avait promis de récompenser les profs "au mérite", de combattre l'échec scolaire et tant de belles choses encore . En attendant il diminue l'encadrement humain, des dizaines de milliers de postes sont supprimés chaque année et la situation est loin de s'améliorer.