La rumeur à laquelle les Français n'accordaient pas plus d'intérêt qu'aux épisodes de la vie privée du monarque soigneusement mis en scène par ses soins, sortant avec une virile fièreté quelque peu machiste des mannequins à son bras, sa Rolex de l'autre, est en passe de devenir une affaire d'Etat qui risque de ridiculiser l'actuel représentant de l'Etat, selon le zèle qu'y met l'intéressé à l'aide de ses porte-parole et avocats qui évoquent maintenant un complot (sic)[1].
En effet, il semble que l'Elysée ait décidé de transformer ce non-événement en scandale dont la justice et la police auraient à s'occuper toutes affaires cessantes et que, une fois encore, Sarkozy ne respecte pas les usages selon lesquels un Président de la République n'attaque pas en justice lorsque sa vie privée est évoquée en public .
Il a voulu faire de sa vie privée un roman qui s'étale dans la presse people et il s'imaginait sans doute pouvoir contrôler le feu dont il avait allumé la mèche. Il n'avait pas lu Machiavel qui explique au gouvernant les règles du pouvoir pour une bonne gouvernance, non plus que la bonne littérature des meilleurs philosophes. Ce qui peut être fatal en certaines circonstances. Mieux encore, une fois le feu parti, le voilà qui rajoute de l'essence.
Voici donc le roman qui nous est proposé depuis la tête de l'Etat.
D'abord, nous apprenions récemment qu'avaient été organisées des pressions réitérées depuis l'Elysée pour que le patron du JDD -hébergeur d'un blog qui a propagé la rumeur- porte plainte. Celui-ci a résisté 3 semaines avant de s'exécuter, tant la démarche semble inaccoutumée et mesquine de la part d'un chef d'Etat, peu respectueuse des principes de la démocratie, et sur la plan juridique franchement déplacée à l'égard d'un blog, comme l'a relaté la presse, en particulier le Nouvel Obs[2] et Le Monde du 5 avril. Comment en effet attribuer la faute d'une "intrusion illicite dans un système informatique" de la part d'un blog vis à vis de son hébergeur ?
L'auteur du blog ainsi que le responsable des blogs sur le site du JDD ont démissionné. Ce qui se comprend et qui était censé clôre l'affaire. Point du tout, l'incendie couve sous les cendres. Car malgré cela le directeur du JDD a fini par accepter de porter plainte tant l'injonction qui pesait sur lui se faisait pressante . S'ensuivit logiquement une réaction des journalistes, qui est tout à fait nette et souligne l'anomalie. Ils n'apprécient guère que le journal cède à pareilles pressions du pouvoir en engageant une action en justice à la place du Président qui fait faire le travail par d'autres, sur des motifs qui semblent de plus, assez peu fondés. La société des journalistes du journal du groupe Lagardère proteste énergiquement, contre le fait que son patron s'incline devant les caprices de l'Elysée , et contre les menaces à peine voilées[3]
D'autant que le porte-parole de l'Elysée, sur le site Rue 89, à propos de cette plainte du JDD emploie le "nous" confirmant que la volonté provient de l'Elysée, et la justifie "il fallait que le JDD porte plainte" en affirmant "nous avons décidé d'aller jusqu'au bout pour que cela ne se reproduise plus jamais'", ce qui sonne comme une menace contre la liberté de la presse aux yeux des journalistes[4] comme de tout citoyen du reste.
Mais ensuite l'incendie éclate. Voilà que notre Président-qui-est-partout et toujours-prêt-à-en-découdre, prétend qu'il s'agirait d'une affaire d'Etat, orchestrée depuis l'étranger (sic) avec d'importants transferts d'argent (re-sic) pour le déstabiliser...
Cette affaire en voie d'extinction, espérait-on du moins, -on peut rêver que l'hôte de l'Elysée ait acquis quelque sens de sa fonction au bout de trois ans- qui n'est d'aucun intérêt autre que de servir peut-être d'écran de fumée pour masquer certaines décisions politiques, est partie pour prendre une dimension aussi inattendue vu son objet, que phénoménale, vu les moyens mis en oeuvre pour lancer enquêtes, accusations, soupçons et hypothèses fantastiques à l'échelle nationale et internationale, sur fond de fantasmes de complot et de calomnies tous azimuts .
On apprend encore, aujourd'hui dans Le Monde que les services de contre-espionnage français ont été mobilisés depuis le 2 mars, pour tenter de remonter aux sources de cette rumeur et identifier les auteurs... ce qui , last but not least, aboutit maintenant à des accusations infâmantes venues de l'Elysée envers une ancienne ministre, avant que l'enquête ait pu établir quelque élément que ce soit qui permettrait de la mettre effectivement en cause. Une accusation non fondée, une calomnie en somme. Ultime élément d'une explosion en plusieurs temps.
Plus exactement, c'est l'avant dernier, car maintenant s'installe une interrogation et un soupçon selon lesquels Rachida Dati aurait pu être mise sur écoute sur ordre de l'Elysée. En effet, que faisaient donc les services du contre-espionnage depuis le 2 mars, qui jurent bien entendu qu'ils n'ont pas procédé à des écoutes téléphoniques ? Est-ce crédible ? Une nouvelle affaire dans l'affaire qui légitime les interrogations. Et puis d'autres soupçons, encore, d'autres rumeurs répandues. D'après le Figaro (6 avril) il ne suffit pas d'accuser Rachida Dati, Villepin aussi a été cité comme possible agent de cette entreprise complotiste.
Une impression de dérapage incontrôlé s'installe : outre la démesure de la mobilisation des services secrets et des accusations à l'échelle internationale, est-il bien raisonnable de vouloir contrer une rumeur anonyme en lançant depuis les sommets de l'Etat une contre-rumeur que l'auteur signe et signifie ainsi qu'il persiste, persévère et s'enfère ?
Carla tente de désamorcer un peu la bombe en assurant qu'il n'y avait pas eu d'enquête des services du renseignement intérieur. Malheureusement le patron des dits services confirme que l'enquête a eu lieu, dans une déclaration à Mediapart.
Une fois encore, je comprends pourquoi je ne lis pas de science fiction, la réalité la dépasse aisément !
Plus sérieusement, la seule chose qui ne soit pas un fantasme en cette affaire mais une certitude, est que le souci de l'Etat et le service de la République semblent loin, aussi loin que l'idée de servir l'intérêt commun et d'être responsable devant le peuple. Avec Sarkozy mises en scène, coups bas, mensonges et manipulations tendent à réduire la vie politique à un feuilleton télévisé pour endormir l'esprit du spectateur .
Alithia
notes :
[1] voir Libération, 4 avril :
Pierre Charon, conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, se demande, à propos des rumeurs apparues début mars sur une prétendue séparation du couple présidentiel, s’il n’y aurait pas «une espèce de complot organisé avec des mouvements financiers».
Interrogé par Rue89, M. Charon se félicite de la plainte contre X déposée par la société éditrice du Journal du dimanche (groupe Lagardère) pour «introduction frauduleuse de données dans un système informatique», après la publication de ces rumeurs sur un blog hébergé par le site jdd.fr.
Estimant qu’Olivier Jay, directeur de la rédaction du JDD, a été dans cette affaire «un peu dépassé», il assure que «pour que la peur change de camp, il fallait qu’il y ait une procédure judiciaire».
«Maintenant on va voir s’il n’y a pas une espèce de complot organisé, avec des mouvements financiers, pourquoi pas», ajoute M. Charon.
Il y a quelques jours, un ministre avait également confié à des journalistes que ces rumeurs pouvaient être une tentative de «destabilisation» du président Sarkozy.
«Le fait que ces rumeurs aient été relayées dans la presse en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Suisse peut faire penser à un complot, alors que la France s’apprête, en 2011, à prendre la présidence du G20. On va faire une enquête pour savoir d’où viennent ces rumeurs», avait ajouté ce ministre.
[2] Le Nouvel Obs révèle qu'après les pressions venues de l'Elysée le JDD porte plainte sur un motif juridiquement faible.
[3] Déclaration des journalistes du JDD à propos de cette affaire à rebondissements.
Ils ne comprennent pas que le groupe Lagardère se sente obligé de s'exécuter devant une demande émanant de l'Elysée.
Dans un communiqué du 4 avril, la société des journalistes (SDJ) se déclare "stupéfaite et inquiète par les proportions que prend" l'affaire de la rumeur. Le JDD, "pas plus que n'importe quel autre média, n'a à se plier aux désirs d'un pouvoir, ni à céder aux pressions ou aux menaces, d'où qu'elles viennent". Mardi 6 avril, la SDJ a de nouveau protesté auprès d'Olivier Jay, directeur de la rédaction. "Nous lui avons dit que nous nous interrogions sur les raisons profondes qui motivent le dépôt d'une plainte contre X par le groupe Lagardère, alors que les deux responsables de la diffusion de la rumeur sur un blog du JDD ont déjà été licenciés". Les journalistes ne comprennent pas non plus la nécessité de la lettre d'excuses adressée par M. Jay à Nicolas Sarkozy estimant que la rédaction n'était pas engagée par un billet rédigé sur un blog par quelqu'un qui n'est pas journaliste.
[source Le Monde 6 avril]
[4] voir Rue89
les journalistes perçoivent ces propos comme une menace.