La chute de DSK est son oeuvre.
On savait que DSK avait une propension à la consommation compulsive des femmes, qui pouvait être pressante et relever du harcèlement. Il s'en était lui-même confessé dans certaines interview et il savait que c'était son point faible, comme s'il savait qu'il pouvait être piégé par ses pulsions.
Patron du FMI, il était un homme puissant, sur le territoire des Etats-Unis dont on connaît le puritanisme et l'intransigeance en matière d'affaires sexuelles ordinaires, du type aventures extra-conjugales susceptibles d'être transformées en scandales publics et d'être exploitées politiquement (bien distinctes des violences et crimes sexuels, justement punis, et de manière très sévère aux Etats-Unis). Homme public de cette importance, il se savait sous surveillance permanente, exacerbée par sa possible candidature aux futures élections présidentielles en France, qui devait être déclarée à la fin du mois. Comment a-t-il pu se laisser aller à un tel acte, d'une telle gravité, si celui-ci est avéré ?
Au-delà de l'incrédulité, c'est la sidération qu'a provoquée l'annonce de sa mise en examen, renouvelée et amplifiée encore le lendemain par les photos du prévenu menotté encadré de policiers qui ont été diffusées. Ce traitement est réservé en France aux personnes précédemment jugées coupables. En vertu de la présomption d'innocence un prévenu ne doit ni être menotté ni encore moins être montré ainsi en public. Impression d'un homme donné en pâture, traité comme s'il avait déjà été reconnu coupable. Cela se fait aux Etats-Unis, dit-on, où c'est au prévenu qu'incombe la preuve de son innocence. En France cela choque, car c'est vécu comme une atteinte à la présomption d'innocence.
Comment une chute aussi vertigineuse est-elle possible ? Le titre de Libération "DSK out" exprime la fin de sa carrière politique inscrite dans cet événement, quelle que soit l'issue, qu'il soit finalement reconnu coupable ou innocentl. Le Monde exprime cette sidération partagée : " DSK, en plein polar ou en plein délire ? "
L'événement est sidérant, on peine à y croire. Non que l'information soit mis en doute (pas de théories de complots médiatico-politiques, les media ne sont pas accusés) mais on a du mal à admettre ce que l'on apprend, er du mal à croire ce que l'on voit, entend et lit, et encore plus à accepter que cela soit son oeuvre, c'est à dire qu'il soit lui-même, le seul artisan de sa chute. On spécule sur un éventuel "piège" -dans lequel il serait tombé, toutefois- : la tentatrice téléguidée lui aurait donné l'occasion de céder à la tentation. Piégé par son point faible et on échafaude même l'hypothèse d'un coup monté : le témoignage de la supposée (à l'heure actuelle) victime du viol releverait du fantasme voire de la machination. On cherche une issue, des hypothèses. Car ce ne peut être vrai : comment un homme intelligent, investi d'un tel pouvoir, objet d'une telle attente et d'une telle attention, constamment épié, qui se sait des ennemis, ou qui se sait attendu au tournant, comment peut-il se laisser aller à de tels actes dans ces circonstances précises où le moindre de ses faits et gestes est surveillé, prêt à être exploité ?
Pourtant l'inconscient a ses raisons que la raison ne connaît pas. Pourtant, connaissant ses faiblesses c'est à dire ses pulsions, s'il avait reculé devant le destin qui semblait tout tracé comme l'indiquaient les sondages (les sondages ! selon la logique du calcul qui est la leur, supposée calculer l'avenir alors qu'ils ne révèlent qu'une opinion dans le présent) ? Si cet acte a eu lieu, il signe le refus de cet avenir, comme un geste extrême et irrationnel témoignant d'une perception du sujet d'être en défaut par rapport à sa place, un acte qui fait entrevoir ce qui ne peut être imaginé ni représenté. En somme dans un geste sublime au sens kantien, l'irreprésentable surgit, informe, sauvage, terrifiant.
Libération a sollicité un écrivain, Luis de Miranda et un psychanalyste, Alain-Didier Weil, qui donnent des éclairages sur cette affaire inassimilable qui laisse d'abord sans voix, tant elle semble relever de l'excès, de l'impensable, où émerge la sauvagerie de l'inconscient. S'agirait-il d'un acte héroïque qui détruit ce qui devait être détruit, car, fondamentalement, ça n'était pas possible de se conformer à ce qui avait été tissé autour de lui ?
"Luis de Miranda, y voit "un suicide politique plutôt que la mort de l'automate ou la possibilité d'un règne déchaîné". Il parie qu'"au "fond de lui" DSK est libéré. Il le voit comme un héros sublime.
"C’est entendu, il y a quelque chose de bestial dans le royaume de DSK. Cette sauvagerie du désir n’est sans doute pas respectueuse de la diplomatie qui doit présider à la séduction érotique. Mais nous faisons le pari qu’au fond de lui, aujourd’hui, Dominique Strauss-Kahn est joyeux. Peut-être ne se l’avoue-t-il pas encore. Mais un tel passage à l’acte, à un tel moment de sa biographie, ne peut être que volontaire. J’ajoute qu’il est héroïque."
"Cette chute, il l’a voulue, il l’a désirée. L’esprit en lui s’est allié à l’animal pour effondrer d’un geste vif la machine qui s’édifiait autour de lui, telle une prison prévisible et dangereuse. Cela a commencé par la Porsche. Premier acte manqué. Mais la voiture de sport ne fut qu’un coup d’essai timide. Si la femme de ménage a été agressée, l’ouvrière violentée, alors nous touchons au sublime, au sens kantien d’«au-delà médusant de la représentation». Un suicide politique plutôt que la mort de l’automate ou la possibilité d’un règne déchaîné."
"DSK est un personnage philosophique, un symptôme de notre temps (un saint-homme dirait Lacan) en ce qu'en lui bestialité et rationalité luttent à l'extrême."
" Comme président il aurait été dangereux et, au fond, il le savait : une sorte d'hyper-Sarkozy, celui-ci étant déjà passablement pulsionnel".
« Finalement, je crois que DSK a deux raisons de se réjouir aujourd’hui et nous avec lui : la première est que son passage à l’acte du Sofitel est un refus de l’avenir tout tracé que la plupart lui prédisaient. En cela, l’assaut de l’ouvrière de chambre est un geste fou de libération totale, presque une oeuvre d’art, en ce que le geste lui permet aussi, au passage, de révéler qu’il n’a jamais été de gauche.
La seconde raison de se réjouir, c’est que ce suicide prouve, in fine, que la raison a triomphé de l’animal. L’étincelle spirituelle qui germe au fond de DSK a voulu nous éviter un président calligulien. Cet événement new-yorkais est un sacrifice, un renoncement à une surpuissance annoncée, un don à l’intérêt général français. En cela, DSK, tu es héroïque. Merci. »
Alain Didier Weil, psychanalyste, sous le titre "une catastrophe, pire, une catastrophe attendue" parle d’un acte manqué :
" Dans une période de sa vie où il n'a jamais été autant surveillé par les media, où ses faits et gestes sont observés, scrutés à l'infini, voilà -si cela se confirme- que Dominique Strauss-Kahn réalise l'acte... le plus attendu par cette surveillance généralisée. C'est sidérant.
Cela peut s’appeler un acte manqué. Un acte qui consiste à obéir à cet état de surveillance qui est autour de lui, pour desservir au final son propre destin. Mais si on parle d’acte manqué ou d’un acte irrationnel, on peut dire aussi l’inverse et lui donner un sens contraire. Dans une période où la censure autour de lui est étouffante, surgit une espèce de levée intempestive du refoulement sexuel élémentaire. C’est un autre aspect, et en ce sens ce serait un acte réussi pour ses adversaires."
D'autres parleront de tragédie grecque, le déroulement d'un destin implacable.
DSK avait évoqué les rumeurs sur sa vie sexuelle au cours d'un déjeuner "off" avec des journalistes que transmet un article de Libération sous le titre «Oui, j’aime les femmes, et alors ?»"
"C’était le 28 avril. Rendez-vous avait été pris en toute confidentialité avec Dominique Strauss-Kahn dans un restaurant duIIearrondissement de Paris. (...) Cordial, souriant, détendu, DSK, au moment de passer à table, interroge :«Avez-vous vos téléphones portables sur vous ?» Lui-même en a deux. Il explique avoir laissé son appareil personnel dans le vestibule et ne conserve sur lui que «le crypté» fourni par le FMI."
"Très déterminé, il évoque la longue - trop longue à son goût - campagne à venir et les principales difficultés à surmonter pour lui. Il dit redouter des mauvais «coups» de Guéant. Il voit trois difficultés pour lui, qui pourraient faire l'objet d'attaques : «Le fric, les femmes et ma judéité.» Mais, au moment de développer, il commence par les femmes. «Oui, j’aime les femmes… Et alors ? » Cependant sur ce point, il imaginait un possible scénario-piège : «Une femme [déclarant avoir été ] violée dans un parking à qui on promettrait 500.000 ou un million d’euros pour inventer une telle histoire.» DSK évoque encore une scène où il se retrouve dans une pissotière avec Nicolas Sarkozy, lors d’un sommet international, et lui demande d’arrêter de le salir sur sa vie privée."