La dépolitisation s'accélère avec notre nouveau président au point qu'on croit assister à un naufrage de la politique. La politique où tout se décide au sommet et hors débats, semble éclipsée par la mise en scène des péripéties de la vie privée du prince et par l'appel constant à l'émotion.
Un article de Daniel Schneidermann dans Libération parle de l'actuelle tentative de transformer la République française en une sorte de principauté à la façon Grimaldi donnant à voir au bon peuple ses amours et ses peines. Ou de l'utilisation des événements de la vie princière pour nourrir l'imaginaire populaire et émouvoir. Distraire de l'actualité pas toujours brillante avec la vie de Cour et émouvoir avec des amours supposées extra-ordinaires entre célébrités supposées faire rêver : serait-ce la moderne formule des jeux du cirque ?
Depuis quelque temps en effet, les annonces et événements mis en avant et répercutés par les media ad nauseam sont situés dans le seul registre de l'émotion.
L'actualité semble se résumer à un slogan : tout pour l'émotion, tout est émotion et rien qu'émotion. Exactement comme pour l'évocation de l'histoire et la formation de la mémoire historique dans les écoles. Il s'agit d'émouvoir et culpabiliser, et non pas de réfléchir et comprendre. Les consignes venues du haut de l'Elysée intimant aux enseignants la manière dont ils devraient s'y prendre pour enseigner l'histoire, préconisent de se placer dans le seul registre de l'émotion. Ce qui fut fait pour Guy Môquet. Ce qui recommence avec la charge émotionnelle macabre d'un enfant de Shoah placée sur les épaules des petits de l'école primaire : un fantôme attribué à chaque petit français (on suppose non clandestin, car les clandestins ne sont pas appellés à rester !) le fantôme d'un enfant mort qui pèse sur les épaules d'un enfant culpabilisé. Aberration historique et psychologique. On n'a pas le droit d'instrumentaliser les enfants et l'histoire en jouant de la seule émotion et en provoquant la culpabilité.
Les professeurs critiquent cet appel à l'émotion en guise de formation de la mémoire historique.
Simone Veil l'a dit en des mots très clairs. « Mon sang s’est glacé. C’est inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste. On ne peut pas infliger ça à des petits de dix ans, on ne peut pas demander à un enfant de s’identifier à un enfant mort. Cette mémoire est beaucoup trop lourde à porter.»
Au sujet de la "peopelisation" de la politique, Schneidermann précise que l'Express vient d'être racheté par un groupe de presse belge qui comprend aussi Point de vue images. Ainsi, en une sorte de partage du travail complémentaire, l'Express glisse à tout allure vers le magazine people. C'était l'Express déjà qui avait annoncé les photos de la sortie chez Mickey. Elles parurent dans Point de vue.
Aujourd'hui réitération de l'opération avec l'interview de Carla qui s'occupe de reconstruire Carla en madonne impeccable, dessinant l'image lisse d'une femme dévouée, épouse fidèle et responsable, image angélique qui même promet de s'occuper de nous en politique avec sérieux.
Ciel !
Pendant que le peuple est censé s'émouvoir au spectacle des peines et des amours des grands et surtout du prince qui nous gouverne, il ne reste plus vraiment l'envie ni le temps de commenter longuement la réforme du Code du travail, le traité de Lisbonne et l'Europe, le sort des universités et de la recherche, les salaires et l'emploi, les clandestins pourchassés, le sort de la démocratie et de la laïcité.
Tout l'espace est occupé par la vie privée du président qui prend seul toutes les décisions par-dessus la tête des ministres et des institutions.
Aujourd'hui la limite est dépassée : réaction de Villepin, Bayrou, Royal et d'autres hommes politiques encore de tous les grands partis (voir Marianne : "Pour une vigilance républicaine") en défense de la république et de la laïcité, prévenant des dérives vers un pouvoir personnel .
Daniel Schneidermann écrit dans Libération :
" la palme de la sidération revient à l’Express. Heureux hasard : l’hebdo, qui se cherchait depuis quelques années une identité, vient de tomber sous la coupe d’un groupe belge, Roularta, lequel comprend aussi un magazine purement people, Point de vue. Les synergies de groupe peuvent donc jouer à plein. A toi les photos, à moi l’accompagnement politico-intellectuel de l’opération.
L’opération aurait pu réussir. Elle a d’ailleurs en partie réussi [...] Entendez bien, bon peuple, et esbaudissez-vous : elle a dit agapè. Connaissez-vous l’agapè ? Chroniqueurs, exégètes, à vos dictionnaires ! Damnation, où sont-ils donc ? Ils n’avaient pas resservi depuis Mitterrand. [...]
L’opération était presque parfaite, n’était une vilaine bavure qui a échappé à l’escouade des retoucheurs : Bruni a dérapé au dernier moment sur l’affaire du SMS, assimilant le Nouvel Obs à la presse collaborationniste."
Du même on pourra lire encore : paradoxes de la dégringolade
C'est le règne de la bêtise et de la censure spontanées. Car il est vrai qu'aucun groupe précis et pré-constitué ne la compose . Non, la censure de l'intelligence et de la vérité sont parfaitement spontanées. Mais au total on a tout de même platitude, banalisation de tout, et orientations idéologiques fumeuses et faites de propagande pour les idées les pires.
Alithia