Pour faire suite à l'échange sur les maths, à quoi elles peuvent servir et comment elles sont utilisées en économie, relire J-C Milner dont les explications sont lumineuses.
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Antoine Mercier : que dites-vous de l’événement « crise » pris au sens large ?
Jean-Claude Milner : Nous avons été confrontés dans les 40 dernières années d’une part à l’émergence d’un marché vraiment mondial - ce que l’on appelle aujourd’hui la mondialisation - et d’autre part, dans le cadre de ce marché mondial, à la découverte par les grands acteurs du capitalisme historique qu’ils avaient perdu la maîtrise des ressources naturelles et de la force de travail au profit d’autres pays. Je pense par exemple à la Chine qui dispose d’une immense force de travail laquelle présente le triple avantage de produire de la valeur, d’être très bon marché, et d’être renouvelable.
Ce pays, comme ceux qui ont des ressources naturelles de divers types ont commencé à accumuler de très grands profits. En sens inverse, les acteurs classiques du capitalisme, les pays de l’Europe de l’Ouest et les États-Unis perdaient le contrôle de ces ressources naturelles tandis que leur force de travail devenait rare et de plus en plus chère.
Que s’est-il donc passé ? Pour récupérer la maîtrise de ces richesses, on a inventé cette chose extraordinaire que l’on appelle le capitalisme financier. Par opposition au marché mondial, il est très concentré, en fait en deux endroits : New-York, et Londres. Et tous les surprofits générés par les pays ayant la maîtrise des ressources naturelles sont revenus se placer, comme naturellement, sur les places financières américaines et européennes dans un flot monétaire dont l’histoire a connu peu d’exemple. Il faut songer à l’or espagnol pour trouver une comparaison.
Antoine Mercier : Et les puissances traditionnelles ont récupéré leur pouvoir ou leur avoir par l’intermédiaire de cette financiarisation de l’économie ?
Jean-Claude Milner : C’est ça l’extraordinaire subtilité de la machine mise en place. Et c’est cette machine qui a sauté sous nos yeux l’an dernier.
Antoine Mercier : Pourquoi a-t-elle sauté ?
Jean-Claude Milner : Je crois que quand on regarde d’un peu près la machine, on découvre que chaque mouvement produisait de la valeur. Il fallait donc construire des instruments de plus en plus sophistiqués qui allongeaient le parcours entre le point de départ où l’on mettait un certain investissement et le point d’arrivée où l’on avait un bénéfice.
C’est à cela que la mathématique a servi. Nous savons très bien quel rôle ont joué les modèles mathématiques pour construire de nouveaux produits financiers. Le principe fondamental était que le chemin parcouru devait être le plus long et le plus compliqué possible. Un exemple simple : le crédit immobilier que l’on va transformer en titre négociable en Bourse.
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