Google et wikipedia : une même entreprise pour recouvrir le monde.
Barbara Cassin, philosophe, écrit un livre sur Google « Google moi » sorti en fevrier de cette année chez Albin Michel.
Elle relève la double ambition affichée de Google « organiser l'ensemble du savoir » et par là « faire le bien » (ou lutter contre le mal) ce qui aurait pour conséquence selon le même Google d'oeuvrer ainsi à la « la démocratie culturelle ».
Soit exactement les mêmes ambitions et proclamations que l'on retrouve chez wikipedia.
Toutes choses que Barbara Cassin analyse et met fortement en doute, sans toutefois s'occuper de wikipedia qui n'a pas retenu son attention et qu'elle semble ne pas connaître. Peu d'intellectuels , en effet, ont la patience d'étudier wk et de tenter de l'évaluer.
Cependant on peut suggérer une analyse critique et une évaluation de wikipedia, en tous points parallèles à ce qui peut se dire de Google.
Soit : chez wikipedia, la même prétention à organiser toute la connaissance et à faire le bien de l'humanité entière, au nom de la démocratisation du savoir affirmée par le seul fait de l'outil technique, et qui contribuerait assurément à la démocratie et au progrès . On a là la grande naïveté d'un rêve américain qui s'étend sur le monde et recouvre celui-ci de son grand manteau tissé de ses croyances et illusions : la puissance au nom du bien infligé au monde entier. Une certaine vision du monde est discernable dans cette affaire : tout à fois relativiste, libérale, pragmatique, positiviste. Pas de sélection, chacun peut dire-écrire ce qu'il veut, la foule équilibrera et corrigera forcément. Comme si des incompétents rassemblés formait une masse compétente. Au nom du bien, promis en toute bonne conscience par conséquent. Nous savons comme il convient de se méfier de qui vous veut du bien ou prétend faire votre bien à votre place et sans rien vous demander. Un ami qui vous veut du bien, on connaît. Une tutelle, un pouvoir tyrannique doux : la démocratie en Amérique telle que Tocqueville l'analysa il y a de cela quelque temps et qui, dans son extension au monde, prend des formes nouvelles et guère plus enthousiasmantes, pour l'observateur avisé qui sait en discerner les traits les pires et les dangers potentiels.
Car cette réorganisation du savoir est en même temps une mainmise sur le savoir selon une nouvelle sélection et une nouvelle hiérarchie, celle de Google-wikipedia, qui en vérité aboutit et consiste en une uniformisation et un appauvrissement du savoir, inversement proportionnels à son espace de distribution . Car cette réorganisation repose sur la désastreuse idée que la connaissance et la culture se réduisent à l'information, avec laquelle elles sont confondues où le seul critère de sélection et de hiérarchisation est la quantité, et où bien entendu, Google comme wikipedia imposent un tri, une sélection, une hiérarchisation des documents, selon le seul critère quantitatif qui est leur seule référence, (le pagerank qui entretient la confusion entre qualité et quantité) repoussant aux rangs invisibles les documents infiniment plus intéressants parce que moins bien notés (selon l'algorithme).
Le tout est présenté comme une mission humanitaire au service de la démocratie et du progrès, parce que soi-disant au service de la connaissance. Mot pour mot les mêmes intentions, le même programme.
Et le même genre de discours que celui d'une secte : prosélytisme humaniste, au service d'une prise sur les esprits.
Avec ceci en plus à mettre au compte de wikipedia : elle répand à l'échelle planétaire les erreurs, déformations et falsifications qu'elle contient en masse, puisqu'elle se prétend une encyclopédie qui, par rapport à Google présenterait un produit (presque) fini : des articles rédigés reprenant les contenus auxquels mènent les liens Google. Elle propose des textes censés « faciliter » la recherche d'informations. Un reader's digest à grande échelle. Et puis également la propagande qu'elle abrite puisqu'ont su l'utiliser tous les courants d'idées jusqu'aux divers fascismes et négationnismes, que les administrateurs sont d'autant plus incapables de discriminer que, comme Google, dont le classement est purement quantitatif, wikipedia retient et diffuse simplement les opinions les plus répandues, les plus « populaires » au top du web, qui font consensus à wk. Donc toutes les opinions y trouvent place, au détriment des vraies connaissances. Ainsi via wk la diffusion des croyances des sectes, des pseudo-sciences et de toutes les formes d'irrationalisme, s'étend, conformément au relativisme et au libéralisme qui sont parmi les fondements de la démocratie en Amérique. Et qui semblent, à l'échelle du grand nombre, mieux connues des rédacteurs wikipediens que les études savantes et théories scientifiques.
Logique puisque ses rédacteurs c'est tout le monde sans aucun critère de qualification. Ce qui n'empêche un solide positivisme : la science sans pensée de la science. Bref, wikipedia préfigure le monde de demain, à savoir ce monde qui vient et le futur qui s'approche, où tout le savoir sera pré-mâché, classé pour vous, pré-rédigé et pré-digéré.
A l'égard des prétentions de Google Barbara Cassin émet un certain nombre de mises en doute et critique son idéologie.
Tout a commencé lorsqu'elle a entendu un représentant de Google-Europe déclarer : «Notre mission est d'organiser toute l'information du monde.» Cette profession de foi missionnaire m'a fait peur, pense-t-elle alors.
Ces produits paradigmatiques d'internet que sont Google-wikipedia (que j'écris volontairement en un mot) annoncent être investis d'une mission. Cela effraye un peu en effet.
Barbara Cassin décrypte une politique sous-jacente à cette mission proclamée, qui ressemblerait à une domination (je ne la suivrais pas cependant pour les rapprochements qu'elle fait avec la vie politique au jour le jour. Je pense que ce n'est pas de cela qu'il s'agit).
Restons dans le domaine de la connaissance et de ce qu'en fait Google-wikipedia.
1- Pour cet attelage ne vaut que le quantifiable :
« Google classe le plus haut ce qui est le plus souvent cité-demandé. La langue des mots-clés permet de faire de la qualité rien qu'avec de la quantité. » dit-elle. (interview au Nouvel Obs)
2- Ce qui n'a rien à voir, ni avec la démocratie, ni avec la culture. En effet l'information n'est pas la culture.
« Je refuse de dire (que Google est), comme il le prétend, le «champion de la démocratie culturelle». Ou alors il faut revoir à la baisse et la démocratie et la culture. Ce qu'il appelle lui-même la «démocratie des clics» (en gros, «un clic, un vote» pour une publicité, et «un lien, un vote» pour un résultat), ça n'a rien à voir avec de la démocratie. Pour une raison simple : il n'y a aucune dimension politique là-dedans. Cliquer n'est pas voter, avec des clics, on ne construit pas de monde(s) commun(s). Pour la culture, c'est pareil : de l'information, même fiable, ce n'est pas de la culture, c'est à peine de l'information digne de ce nom - structurée. Il manque ce que Hannah Arendt appelle la dimension de l'oeuvre. Elle pense d'ailleurs que les deux se rejoignent - que le goût est une faculté politique. Je ne crois pas que Google soit le premier à (se) tromper sur la "démocratie culturelle". » (même interview)
A propos de wikipedia en décembre 2004, au sujet de ce que devrait être un article encyclopédique, un contributeur de wk, sous le pseudonyme de Caton, un philosophe, affirmait que :
« au fond, Wikipédia renseigne sur les oeuvres que Descartes a écrites comme on peut se renseigner sur des horaires de train : (...) On peut très bien avoir beaucoup d'informations, et être néanmoins au degré zéro de la connaissance (...). C'est pourquoi le danger de toute encyclopédie est de sombrer dans l'insignifiance et le vide culturel. L'information pour l'information est l'opposé de l'instruction, du savoir et de l'amour de la connaissance. »
On pourra également lire avec intérêt l'article du blog de Pierre Assouline sur le livre de B. Cassin dont il cite ce passage :
« Brutalement dit, Google est un champion de la démocratie culturelle, mais sans culture et sans démocratie. Car il n’est un maître ni en culture ni en démocratie. (…) On peut même dire que Google est anti-démocratique parce qu’il est profondément américain sans nous donner les moyens de le savoir, de remettre en cause son universalité, tel que américain aille de soi comme universel. Nous sommes aristotéliciens quand nous parlons, que nous le voulions et que nous le sachions ou non ; nous sommes américains quand nous googlons, que nous le voulions et le sachions ou non (…) Au lieu du politique, on trouve en Google la transcendance du déni de garanties, un philosophe-roi à ceci près qu’il n’est pas philosophe - le pire. Immanence du Web et transccendance de Google : Google, le nom actuel de la transcendance du Web ? Ou bien, plus sèchement : we, Google of America ? »
Annexes :
* Un commentaire que j'aime bien, pris à la suite :
« L’ouvrage des Wikipédiens ressemble à celui de Bouvard et Pécuchet à la fin du roman, devant leurs pupitres, à recopier tout le savoir du monde. Et Google est la fourche à remuer le foin pour trier les aiguilles. Tout est enregistré, tout est conservé, au lieu d’oublier on égare. » par ebolavir
* un autre :
« on préférerait une réflexion sur Wikipédia, l’encyclopédie des scribouillards volontaires, cette institution soi-disant pleine de bonne volonté, contrôlée par ces petits censeurs mi fachos, mi babas, qui passent leurs journées à raturer, corriger les imperfections, véritable petit monde orwellien où tout ce que vous faites est irrémédiablement scruté et contrôlé.
Celà est surtout vrai pour la Wikipedia française, où les débats entre les habitués et certaines décisions prises démocratiquement certes mais par des non-spécialistes prennent souvent des proportions risibles et hallucinantes. Alors que la Wikipedia anglophone est elle plus posée, plus reflechie, bien mieux travaillée (à mon humble avis). Pour le pays de la méthode et de la pensée cartésienne, je trouve que ça la fout mal. » par « Ialda »
* Explication de ce fait : de nombreux articles de la wk.en (wikipedia en langue anglaise) sont recopiés d'éditions anciennes de Britannica, libres de droits (datant de + de 70 ans) Cela fait partie du programme de pillage de wk, qu'elle dénie comme il se doit.
* Puis encore, pour mémoire cet article de l'encyclopédie de l'Agora sur Google-wikipedia ; ainsi que celui-ci et celui-ci encore présentant les théories qui justifieraient wk. ou du moins, sur les quelles elle se fonde.
Soit le thème de la dite « sagesse des foules » ou développement de l'hypothèse que la foule serait plus sage, que le plus sage des hommes, par le seul fait du nombre.
Dont je détaillerai le contenu dans un prochain article.
Disons juste que cette assertion qui attribue au nombre (la foule) une supériorité sur les qualités singulières, (inégalement réparties : tous les hommes ne sont pas, dans leurs actes, également sages, bons, justes, savants etc. et n'ont pas tous les mêmes qualités) efface la distinction entre quantité et qualité, pour faire de la quantité la qualité suprême. Ainsi elle renverse le rapport de la qualité et de la quantité. Et fait comme si un grand nombre d'entités de qualités telles ou telles, par leur seul rassemblement pouvaient aboutir à une entité de qualité contraire à tous ses composantes
Cette hypothèse de la sagesse des foules appartient à une théorie qui transpose du registre animal au registre humain, ce qu'elle prétend être un simple constat. A savoir l'organisation de collectivités animales.
Mais qu'elle pose d'emblée comme parfaites, parce que naturelles, et dont elle croit pouvoir faire par conséquent un modèle, pour les sociétés humaines, gommant toutes les différences.
Alithia
Sur l'échange de bons services Google-wikipedia voir, au sujet de la place qu'occupe wikipedia sur Google et wikipedia est-elle favorisée par Google ?